AVANT PROPOS | INTRODUCTION | I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE | II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE | III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE | IV. L’HEURE DES BILANS | V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS |
V. LES MASSACRES D'ARMÉNIE VUS DE PARIS |
Intervention de Jean Jaurès à la Chambre des députés, en présence du ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux, le 3 novembre 1896 |
Mais ce qui importe, ce qui est grave, ce n’est pas que la brute humaine se soit déchaînée là-bas ; ce n’est pas qu’elle se soit éveillée. Ce qui est grave, c’est qu’elle ne s’est pas éveillée spontanément ; c’est qu’elle a été excitée, encouragée et nourrie dans ses appétits les plus féroces par un gouvernement régulier avec lequel l’Europe avait échangé plus d’une fois, gravement, sa signature. Car c’est là ce qui domine tout : c’est le Sultan qui a voulu, qui a organisé, qui a dirigé les massacres. […] Et il a pensé, messieurs, et pensé avec raison, qu’il n’avait, pour aboutir dans ce dessein, qu’à mettre l’Europe devant le fait accompli, devant le massacre accompli. Il l’a vue hésitante, incertaine, divisée contre elle-même, et pendant que les ambassadeurs divisés, en effet, et impuissants le harcelaient, en pleine tuerie, de ridicules propos de philanthropie et de réformes, il achevait, lui, l’extermination à plein couteau, pour se débarrasser de la question arménienne, pour se débarrasser aussi de l’hypocrite importunité d’une Europe geignante et complice comme vous l’êtes. […] Et le Sultan lui-même voulait pouvoir prouver aux ambassadeurs, qui passaient au palais, sa bonne loi et la bonne foi de ses bons sujets ; et l’on exigeait des Arméniens, à l’heure même où leurs familles râlaient sous le meurtre, qu’ils attestassent que c’étaient eux les coupables, que c’étaient eux qui avaient commencé ; et il y a un de vos consuls qui raconte qu’un des principaux témoins a été torturé comme je vais vous dire : on lui trépanait doucement la tête, puis on y introduisait une coquille de noix ou de noisette remplie de poix et, dans l’intervalle des évanouissements successifs que provoquait cette atrocité, on lui disait : «Veux-tu maintenant signer que ce sont tes frères d’Arménie qui ont commencé ?» Voilà les témoignages que l’on apportait à l’Europe ! Voilà la vérité sur la responsabilité du Sultan !
[…] Messieurs, M. Clemenceau disait il y a quelques semaines, dans un article éloquent, qu’il y a un siècle, devant de pareils massacres, l’Europe entière n’eût pas hésité à faire appel à la France et que la France eût répondu. […] Quoi ! le silence complet, silence dans la presse, dont une partie, je le sais, directement ou indirectement, a été payée pour se taire, silence dans nos grands journaux, dont les principaux commanditaires sont les bénéficiaires de larges entreprises ottomanes, mais surtout silence du gouvernement de la France ! Quoi, devant tout ce sang versé, devant ces abominations et ces sauvageries, devant cette violation de la parole de la France et du droit humain, pas un cri n’est sorti de vos bouches, pas une parole n’est sortie de vos consciences, et vous avez assisté, muets et, par conséquent, complices, à l’extermination complète… […] Et alors, puisque les gouvernements, puisque les nations égarées par eux sont devenus incapables d’établir un accord élémentaire pour empêcher des actes de barbarie de se commettre au nom et sous la responsabilité de l’Europe, il faut que partout le prolétariat européen prenne en mains cette cause même. Il faut que partout il manifeste son indignation et sa volonté, et qu’il oblige ainsi les puissances misérables, qui, pour ne pas se dévorer entre elles, laissent assassiner tout un peuple, à accomplir leur devoir d’élémentaire humanité avec un ensemble qui supprimera toute possibilité de résistance et de conflit, et qui conciliera l’œuvre de paix et l’œuvre de justice. Tel est le sens de l’ordre du jour que nous avons remis à M. le président et que je prie la Chambre de voter. |
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Pierre Quillard, l’âme de Pro Armenia, arménophile infatigable |
Transcription de la lettre de Pierre Quillard à Malachia Ormanian |
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Pierre Quillard décédé, comme d’autres arménophiles historiques tels Élisée Reclus ou Anatole Leroy-Beaulieu, la publication est désormais dirigée par Francis de Pressensé, alors président de la Ligue des droits de l’Homme, par Victor Bérard et par Jean Longuet qui en assure toujours le secrétariat de rédaction. C’est Mikaël Varandian, déjà rédacteur du journal Drochak, organe du parti tachnag, qui prend la succession de Pierre Quillard comme rédacteur en chef. La revue paraît de nouveau brièvement sous son ancien titre Pro Armenia, du 10 décembre 1913 au 10 juillet 1914, avant de s’éteindre tout à fait pendant la Grande Guerre. |
LA FABRIQUE DU MILITANTISME L’organisation du premier Congrès international des arménophiles (Bruxelles, 1902) |
L’adhésion des députés et autres figures de la vie politique
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Grandes personnalités intellectuelles et universitaires
À noter la présence de l’historien républicain Ernest Lavisse, du géographe anarchiste Élisée Reclus, du juriste pacifiste Frédéric Passy, ancien député et récipiendaire du premier prix Nobel de la Paix en 1901 (avec Henri Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge), ou encore de Charles Gide, membre de la Ligue des droits de l’Homme et théoricien de l’économie sociale. |
Hauts fonctionnaires, hommes de presse, industriels, médecins
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DANS LES COULISSES DE LA MOBILISATION |
« Et je n’irai pas, à l’étranger, prononcer des harangues humanitaires, côte à côte avec des Français qui approuvent et applaudissent chez nous de pareils attentats. On ne massacre pas, comme chez les Kurdes ; c’est vrai. Mais on met sur le pavé six mille religieuses qui ne peuvent trouver dans leurs maisons mères ni pain ni abri. On ferme leur école à 150 000 enfants, auxquels l’État et les communes n’ont ni places ni maîtres à offrir. » |
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Brouillon d’une lettre de Pierre Quillard du 23 juillet 1902 probablement adressée à Albert de Mun (ou à Denys Cochin ?) en réponse à sa missive du 18 juillet 1902
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LES MILLE V
Cliquez pour voir "Les signatures des adhérents au congrès des arménophiles de Bruxelles."
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2. DE LA RÉCEPTION DES MASSACRES DE 1896 ET1909 À CELLE DU GÉNOCIDE DE 1915 ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Les réceptions en France des événements de 1915 sont multiples. D’une part elles s’inscrivent dans la continuité du travail de sensibilisation de l’opinion publique et du sentiment de révolte exprimé à maintes reprises par des arménophiles « historiques », au nombre desquels on retrouve bien sûr des figures de la génération de Pro Armenia, ainsi que de nombreux intellectuels et hommes politiques alertés par l’activisme inépuisable du poète Archag Tchobanian. Dès l’exécution du vaste plan de déportation et de liquidation mis en place par les jeunes-turcs, de premiers témoignages sans équivoques sont publiés à Paris et ailleurs en Europe. Parfaitement informés de la situation sur le terrain, les gouvernements des États de la Triple Entente dénoncent, dès le 24 mai 1915, les massacres opérés dans le vilayet de Van, qu’ils qualifient de « nouveau crime commis par la Turquie contre l’humanité et la civilisation », avertissant « la Sublime Porte qu’ils en tiendront personnellement responsables tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux des fonctionnaires qui auraient participé au massacre des Arméniens ». Cependant, le contexte d’une guerre dans laquelle la France est totalement investie n’aide pas à la lecture par le grand public des crimes de masse commis par le gouvernement jeune-turc contre les Arméniens. Une partie des ouvrages publiés en faveur des Arméniens pendant la guerre et dans l’immédiat après-guerre prennent pour cible les « Turcs sanguinaires » pour mieux dénoncer la complicité de l’Allemagne, alliée de l’Empire ottoman. Dans le même temps, la presse française n’accorde que peu de place aux « massacres d’Arménie », se focalisant davantage sur les opérations militaires sur le front du Caucase, ou sur les exactions commises contre les civils en Belgique et dans les territoires français occupés, ou encore celles commises par les Austro-Hongrois contre la Serbie alliée. Le changement d’échelle et de nature des tueries de 1915, constitutifs du crime de génocide défini plus tard par Raphael Lemkin, ne sont pas toujours perçus et les événements du temps présent sont souvent analysés à l’aune des « massacres de chrétiens en Orient » auxquels le grand public est déjà sensibilisé depuis le milieu du 19e siècle. |
LES ARMÉNOPHILES "HISTORIQUES" Les_armenophiles
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LE DOSSIER PIERRE LOTI
Éprouvant le besoin de justifier son admiration pour la Turquie, alors ennemie de la France, l’écrivain Pierre Loti répond dans Les massacres d’Arménie à ceux qui l’accusent d’en faire l’apologie. Ses prises de position lui valent de nombreuses critiques. Extraits de Les massacres d’Arménie (Pierre Loti, Paris, Calmann-Lévy, 1918, pp. 17-32)
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EN TEMPS DE GUERRE, CONTRE L'ENNEMI : UNE DÉFENSE OPPORTUNISTE DES ARMÉNIENS
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DES "MASSACRES DE CHRÉTIENS EN ORIENT" AU "CRIME DE LÈSE-HUMANITÉ"
Le Petit Journal publie en première page à l’identique, en 1915, la gravure couleur qu’il avait affichée en une de son édition du 2 mai 1909 : les deux événements sont interprétés, à six années de distance, comme s’ils étaient de natures équivalentes. L’illustration est à chaque fois publiée sans contextualisation : « Massacre de Chrétiens en Orient ». |