AVANT PROPOS  INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS


 

 

  IV. L'HEURE DES BILANS AU LENDEMAIN DE LA GRANDE GUERRE

 

 

 

 1. LES RESCAPÉS DU GÉNOCIDE À L'ÉPREUVE DE LA PAIX

Les rescapés recensés à la fin de la guerre peuvent être classés en deux catégories principales :

 

> plusieurs milliers d’enfants et de jeunes filles enlevés par des tribus bédouines, qui ont été récupérés après l’armistice d’octobre 1918 ;

 

> plus de cent mille déportés, surtout originaires de Cilicie, que les forces britanniques découvrent, dans un état indescriptible lors de leur lente conquête de la Palestine et de la Syrie, à partir de la fin de l’année 1917 et en 1918.

 

On recense par ailleurs plusieurs dizaines de milliers de rescapés au Caucase et en Perse.

 

 

Nombre d’Arméniens rapatriés dans leurs foyers (c. février 1919)
d’après les chiffres du bureau d’information du Patriarcat arménien de Constantinople
Localités Rapatriés
Constantinople 470
Edirne 2 355
Erzerum 3 193
Adana 45 075
Angora 1 735
Aydın 132
Bitlis 762
Bursa 13 855
Diyarbekir 195
Sıvas 2 897
Trébizonde 2 103
Kastamonu 0
Konya 10 012
Mamuret ul-Aziz 1 992
Van 732
Eskişehir 216
Erzincan 7
Urfa 394
Içil 0
Izmit 13 672
Bolu 0
Teke 0
Canik 801
Çatalca 0
Ayntab 430
Karahisar 298
Dardanelles 222
Karasi 899
Kayseri 47
Kütahya 721
Menteşe 0
Niğde 0
Total 103 215

 

 

Les rescapés du génocide, entre espoir et désillusion

  carte C6 exode Des survivants du génocide se trouvent dispersés dans les localités arabes, abandonnés à leur sort, chaque famille ayant perdu les trois-quarts de ses membres. Il s’agit en majorité de femmes et d’enfants qui aspirent tous à rentrer dans leurs foyers. Dès janvier 1919, une vaste opération de rapatriement vers la Cilicie commence, sous les auspices de la France, qui est alors en train de prendre le contrôle militaire et administratif de cette région. Cependant, en octobre 1921, la France signe avec la Turquie kémaliste un accord de cession de la Cilicie qui engendre un nouvel exode de la population arménienne vers la Syrie et le Liban.

 

 carte  cilicie carte c3 le levant

 

 

 

 Chronologie de la situation d’après-guerre

Exode des Arméniens à la gare d’Adana Exode des Arméniens à la gare d’Adana en novembre 1921                                                    (Paul du Véou, La Passion de la Cilicie : 1919-1922, Paris : Geuthner, 1954).• 1917 : Prises de Bagdad (mars) et de Jérusalem (décembre) par les forces britanniques. Découverte de nombreux enfants arméniens abandonnés. Début du recueil des orphelins et fondation des premiers orphelinats.

• 31 octobre 1918 : signature de l’armistice de Moudros. La Syrie et la Cilicie sont occupées par les forces alliées. Les gouvernements et les opinions publiques d’Europe peuvent mesurer l’ampleur de la destruction des Arméniens ottomans.

• Janvier 1919 : création du Service central des rapatriements arméniens et début du transfert des déportés regroupés dans les camps d’Alep, Beyrouth et Damas vers la Cilicie. La France prend en charge les frais de l’opération.

• 1er février 1919 : Installation d’une administration française en Cilicie, siégeant à Adana.

• Février 1919 : ouverture à Alep du premier refuge destiné aux femmes arméniennes rescapées et abandonnées.

• 20 octobre 1921 : conclusion de l’accord franco-turc d’Ankara, cédant la Cilicie à la Turquie. Début de l’exode massif des Arméniens de Cilicie vers la Syrie et le Liban.

• Décembre 1921-janvier 1922 : installation de camps de réfugiés à Beyrouth, Alexandrette, Alep et Damas.

• Mars-septembre 1922 : évacuation vers la Syrie et le Liban de 10 017 orphelins arméniens se trouvant sous la protection du Near East Relief dans les provinces orientales de Turquie. Un réseau d’orphelinats administrés par des organisations arméniennes et occidentales est établi en Syrie et au Liban.

• 23 juillet 1923 : signature du traité de Lausanne, qui met fin aux espoirs arméniens d’un possible regroupement des rescapés dans un foyer national.

 

 2. RECUEILLIR ET RÉHABILITER : UNE PRIORITÉ


Dès l’entrée des troupes britanniques en territoire ottoman, les Arméniens s’efforcent de regrouper les femmes et les enfants abandonnés et de les établir dans des maisons d’accueil. Ce sont les premières initiatives d’envergure menées dans les provinces arabes de l’Empire ottoman en faveur du regroupement d’enfants rescapés du génocide et de leur accueil dans des orphelinats. Dès lors, ces opérations humanitaires destinées à prendre en charge les orphelins, les femmes et les enfants enlevés au sein de familles turques, kurdes ou bédouines, s’inscrivent parmi les actions prioritaires des organisations et des institutions arméniennes et occidentales engagées dans le secours et l’assistance aux rescapés du génocide.

 

 

 

La présence des Arméniens ottomans à la veille de la signature du traité de Sèvres
d’après les chiffres du bureau d’information du Patriarcat arménien de Constantinople
Localité, province (vilayet) ou district (sandjak) Nombre d’Arméniens comptabilisés
Constantinople 150 000
Vilayet d’Edirne 6 000
Mutesarifat d’Izmit 20 000
Vilayet de Bursa 11 000
Sandjak de Bilecik 4 500
Sandjak de Karasi 5 000
Sandjak d’Afyonkarahisar 7 000
Vilayet d’Aydın 10 000
Vilayet de Kastamonu et Bolu 8 000
Sandjak de Kirşehir 2 500
Sandjak de Yozgat 3 000
Sandjak d’Angora 4 000
Vilayet de Konya 10 000
Sandjak de Sıvas 12 000
Sandjak de Tokat 1 800
Sandjak d’Amasia 3 000
Sandjak de şabinkarahisar 1 000
Sandjak de Trébizonde 0
Sandjak de Lazistan 10 000
Sandjak de Gümüşhane 0
Sandjak de Canik 5 000
Vilayet d’Erzerum 1 500
Van (la ville uniquement) 500
Vilayet de Bitlis 0
Vilayet de Dyarbekir 3 000
Sandjak de Harpout [Kharpert] 30 000
Sandjak de Malatia 2 000
Sandjak de Dersim 3 000
Vilayet d’Adana 150 000
Sandjak d’Alep 5 000
Sandjak d’Ayntab 52 000
Sandjak d’Urfa 9 000
Sandjak de Marache 10 000
Jérusalem 2 000
Damas 400
Beyrouth 1 000
Hauran 400
Total 543 600

 

 

 

 3. PUNIR LES BOURREAUX : UNE TÂCHE INACHEVÉE

Soghomon TehlirianSoghomon Tehlirian (1897-1960) peu après son acquittement du meurtre de l’ancien ministre de l’Intérieur ottoman et chef du parti jeune-turc, Mehmed Talât, le 15 mars 1921 (coll. Bibliothèque Nubar).IV.4.1IV.4.3IV.4.4IV.4.5IV.4.6Au lendemain de l’Armistice de Moudros (31 octobre 1918), alors que les principaux chefs unionistes se sont enfuis en Allemagne, une commission d’enquête est instaurée au sein du Bureau de la Sûreté générale, par décret impérial du 21 novembre 1918, puis des cours martiales chargées de juger les criminels jeunes-turcs.

Le procès principal, visant les responsables directs du génocide, les membres du conseil des ministres et du comité central du Comité Union et Progrès, débute le 27 avril 1919 devant la cour martiale extraordinaire d’Istanbul. Cette procédure aurait dû réunir les vingt-trois titulaires du comité central du CUP et de son bureau politique, mais douze d’entre eux – notamment Mehmed Talât, İsmail Enver, Ahmed Cemal, les docteurs Bahaeddin Şakir et Nâzım – sont en fuite à l’étranger. Lorsque le « procès des unionistes » s’ouvre, seuls des responsables de second rang sont présents : Halil [Menteşe], Midhat Şükrü, Ziya Gökalp, Kara Kemal, Yusuf Rıza, Said Halim (l’ancien grand vizir), etc.

En définitive, les dizaines de procès qui ont lieu aboutissent à la condamnation à mort et à la pendaison de seulement trois exécutants, les principaux responsables étant condamnés à mort par contumace. Les dispositions prises par les gouvernements britannique et français pour faire traduire ces criminels devant un « haut tribunal » international s’avèrent infructueuses. Des militants arméniens se chargent alors d’appliquer les sentences et de se substituer à une justice défaillante : dans le cadre de l’opération secrète Némésis, ils traquent et assassinent les anciens dirigeants unionistes en fuite à l’étranger.

Le cas le plus emblématique concerne Mehmed Talât, le grand ordonnateur des violences de masse, assassiné à Berlin par Soghomon Tehlirian le 15 mars 1921.

 

 

 

4. L'EXPÉRIENCE  D'AURORA  MARDIGANIAN ET SA MÉDIATISATION

 le film Ravished Armenia, inspiré de son histoire, produit à Hollywood en 1919


Aurora MardiganianAffiche du film "Ravished Armenia". (DR)Née en 1901 à Tchemichguezek (Çemişgezek), dans le nord du vilayet de Kharpert/Mamuret ul-Aziz, Aurora Mardiganian a connu le sort commun aux populations arméniennes déportées. Elle était dans un des convois qui est passé par le plus grand camp de transit et site-abattoir, situé à une dizaine de kilomètres au sud de Malatya, dans la plaine de Fırıncılar, porte d’entrée des gorges de Kahta où des escadrons de l’Organisation spéciale ont commis, au cours de l’été 1915, des crimes indescriptibles.

La suite de sa douloureuse odyssée a été mise en scène dans un film tourné à Hollywood en 1919. Au lendemain de la Grande Guerre, les Arméniens établis en Californie ont choisi Aurora comme héroïne du film qui raconte sa propre histoire et qui était destiné à alerter le grand public sur les crimes commis contre les Arméniens dans l’Empire ottoman. Aurora Mardiganian a également publié son histoire, traduite dans plusieurs langues, qui a servi de base de travail au scénariste de ce film. Installée en Californie, où elle a fondé une famille, elle s’est éteinte en 1994.

 

À défaut de pouvoir présenter une version originale du film non modifiée et libre de droits, nous vous renvoyons simplement à l'aide du lien suivant vers l'une des versions disponibles sur le Net.

 

https://www.youtube.com/watch?v=uTnCaW-Uo_s