AVANT PROPOS  INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS

 

 

 I. LES PRÉMICES D'UN GÉNOCIDE

 

 

 

 

 1. LE QUOTIDIEN D’UN TERROIR ANCESTRAL

Vilayets orientaux avec legendesAu tournant du 20e siècle, les Arméniens sont principalement concentrés dans les six provinces orientales de l’Empire ottoman, dans les vilayets de Sıvas, Erzurum, Van, Diyarbekir, Bitlis et Kharpert, qui recouvrent le terroir arménien ancestral, ainsi qu’à Constantinople et dans les principales villes d’Anatolie. La majorité d’entre eux est établie en milieu rural et mène une vie traditionnelle, de type patriarcal, caractérisée par une cohabitation complexe avec des populations kurdes semi-nomades ou récemment sédentarisées.

D’autre part, les métropoles de province concentrent une société arménienne instruite et entreprenante qui entre dans la modernité.


C’est ce monde vivant qui va subir des massacres de masse et voir ses biens progressivement spoliés, enclenchant un courant migratoire massif avant d’être définitivement éradiqué en 1915.

 

 

 

 

2. ENTRE VIOLENCE D'ÉTAT ET VIOLENCE TRIBALE : LES MASSACRES DE 1894 - 1896

I.2 1 result1891 marque un tournant dans la politique du sultan Abdülhamid II (1876-1909). Cette année-là, il crée des escadrons d’irréguliers kurdes, les hamidiye : enlèvements, pillages et spoliations engendrent une insécurité permanente dans les provinces arméniennes. Mais les premières violences de masse se produisent au cours de l’été 1894, dans le district arménien du Sassoun. Ces massacres, présentés par les autorités comme la conséquence d’une « révolte » des Arméniens, poussent les grandes puissances européennes à se concerter pour imposer au sultan des réformes dans les six vilayets orientaux. En octobre 1895, pour afficher sa bonne volonté, le sultan signe les décrets de réorganisation de l’administration locale destinés à assurer la sécurité des biens et des personnes. Dans les faits, Abdülhamid II autorise et encourage les massacres à grande échelle qui vont suivre.

S’étendant à tout le pays, ces massacres, qui débutent à Trébizonde le 26 septembre 1895, se prolongent jusqu’en décembre, selon des procédures identiques.

Les estimations effectuées par le Patriarcat arménien de Constantinople font état de 200 000 morts et de nombreux pillages et destructions. Une catastrophe humaine et socio-économique.

 

 

 

3. LES MASSACRES DE CILICIE D'AVRIL 1909 : UNE RÉPÉTITION GÉNÉRALE ?


 

carte vilayets d'Adana et alepÀ partir du 31 mars 1909, moins d’un an après la prise du pouvoir par le Comité Union et Progrès et le rétablissement de la constitution, une « réaction » favorable à la restauration du sultan dans la plénitude de ses pouvoirs vise les chefs unionistes. Elle associe des soldats et officiers des garnisons de Constantinople à des opposants religieux. S’étant rapidement ressaisis, les unionistes vont rapidement tuer dans l’œuf cette tentative de réaction et en profiter pour éliminer du même coup l’opposition libérale à Constantinople. 

 

 

Les fondateurs de la fédération révolutionnaire arménienne ou parti "tashnag"Presque simultanément, une succession de massacres frappe les Arméniens d’Adana et de la Cilicie au cours du mois d’avril 1909. Alors que les chefs du parti jeune-turc en rejettent la responsabilité sur les forces réactionnaires, le déroulement de ces violences d’une intensité inouïe jette de fortes présomptions sur l’implication des cadres unionistes locaux et du pouvoir central. Les massacres d’Adana ébranlent ainsi gravement les espoirs qu’une partie de la société arménienne ottomane avait pu fonder dans le rétablissement de la constitution ottomane en 1908 et même, pour certains (à l’exemple de la fédération révolutionnaire arménienne ou parti tachnag), à l’égard du projet politique initial du Comité Union et Progrès.

 

 

La première phase des massacres de Cilicie : 14-16 avril 1909


Constantinople, 24 avril 1909 : arrivée du général Mahmud Şevket, qui écrase les insurgés (coll. Service historique de l’armée de terre).Constantinople, 24 avril 1909 : arrivée du général Mahmud Şevket, qui écrase les insurgés (coll. Service historique de l’armée de terre).La flambée de violence qui embrase toute la Cilicie dès le 14 avril n’a rien d’un mouvement spontané. Des rumeurs infondées d’assassinats de musulmans par des Arméniens ont circulé, relayées par le clergé et les fonctionnaires locaux, soutenus par les notables et la gendarmerie.
La première journée, le 14 avril, des émeutiers procèdent à la destruction des boutiques arméniennes du bazar et au massacre des travailleurs saisonniers arméniens des fermes de la plaine d’Adana. Mais l’autodéfense organisée, notamment dans les quartiers arméniens d’Adana, permet d’éviter un bain de sang.

 

 

 

 


 

 

 

La deuxième phase des massacres de Cilicie : 25-27 avril 1909


Déblayage des ruines du quartier arménien d’Adana après les massacres, mai 1909 (coll. Saint-Grégoire, Beyrouth).Déblayage des ruines du quartier arménien d’Adana après les massacres, mai 1909 (coll. Saint-Grégoire, Beyrouth).Après les premières violences, les autorités gouvernementales ont envoyé des troupes pour rétablir l’ordre. Sur les instances du consul britannique à Adana, les Arméniens ont accepté de livrer leurs armes et de se placer sous la protection des soldats. Ce sont pourtant ces mêmes troupes qui vont attaquer les quartiers arméniens désormais sans défense et procéder, trois jours durant, au massacre de milliers de leurs habitants, y compris ceux qui avaient trouvé refuge dans les missions étrangères.