EXPOSITION VIRTUELLE - ARMÉNIE 1915 

 

 

AVANT PROPOS INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS

 

 

AVANT-PROPOS


Exposition Arménie 1915 Paris Cette exposition virtuelle prolonge et pérennise la grande exposition Arménie 1915 qui a été organisée à l’Hôtel-de-Ville de Paris à l’initiative de la maire de Paris Anne Hidalgo, à l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide des Arméniens.

L’exposition s’est tenue du 29 avril au 4 juillet 2015 et a attiré près de 50 000 visiteurs. Conçue et mise en œuvre sous la direction de Raymond Kévorkian, elle a été rendue possible par la participation de la Bibliothèque Nubar de l’UGAB, qui a mis à disposition ses collections et contribué à la conception de l'exposition. Le Musée-Institut du génocide d’Erevan a également fait partie des institutions partenaires.

Arménie 1915 est la plus grande exposition réalisée à ce jour en Europe sur le génocide des Arméniens avec plus de 500 photos, documents et pièces diverses. Nous en reprenons ici le découpage et les principales entrées thématiques, avec un texte entièrement remanié.

L'exposition virtuelle évoque d'abord les structures du quotidien de la société arménienne ottomane à la fin du 19e siècle. Elle montre la radicalisation idéologique des dirigeants unionistes au pouvoir, entre 1908 et 1914, qui a mené au génocide. Elle présente ensuite la mise en œuvre du génocide avec ses grandes phases en 1915 et 1916, avant d’en dresser un bilan humain et politique à la fin de la Grande Guerre. Une dernière section est consacrée aux réactions suscitées en France par le sort des Arméniens.

 

 

 

« J’ai été pris d’anxiété quand j’ai reçu ces télégrammes concernant les Arméniens. Je n’ai pu dormir la nuit. Le cœur ne pouvait rester indifférent à cela. Mais si ce n’était pas nous, c’était eux qui allaient le faire. Naturellement, c’est nous qui avons commencé. Il s’agissait pour notre nation de la vie ou de la mort ».

Mémoires de Halil Menteşe, ministre des Affaires étrangères ottoman.

 


INTRODUCTION

À partir du 24 avril 1915, l’arrestation des élites politiques et intellectuelles arméniennes à Constantinople et dans les grandes villes de province, sur ordre du gouvernement dirigé par le Comité Union et Progrès, rend manifeste la nature et la portée du génocide qui est en train de s’accomplir. Comme on l’a observé à plusieurs reprises au cours du 20e siècle, cette violence exterminatrice exercée par un État contre une partie de sa population est déclenchée dans un contexte de guerre.

Membres éminents du comité jeune-turc en 1908

L’accession au pouvoir du Comité Union et Progrès (ittihad ve terraki) ou CUP, en juillet 1908, a suscité un immense espoir parmi les populations persécutées sous l’ancien régime où le sultan régnait en autocrate. Mais elle a aussi favorisé la quête d’un nouveau modèle, celui d’un État-nation ethniquement homogène. Aux yeux des chefs unionistes (également appelés ittihadistes, ils incarnaient la frange nationaliste de la mouvance dite « jeune-turque »), c’est la seule option envisageable pour régénérer un Empire ottoman sur la défensive. Ce projet recouvre cependant l’idée latente d’exclusion des groupes considérés comme inassimilables ou dont l’existence est perçue comme un obstacle à l’unification de l’empire et de ses habitants.

Les pertes territoriales successives, avec en point d’orgue l’humiliante défaite subie lors des guerres des Balkans (1912-1913), ont modifié les équilibres au sein du comité central unioniste, dont les membres les plus radicaux ont pris les commandes. Les campagnes de boycott suscitées par les autorités, en 1912-1913, à l’encontre des entreprises et commerces tenus par des Grecs et des Arméniens, ont balayé les dernières illusions de ces derniers et contribué à instiller au sein de l’opinion publique musulmane l’image du « traitre » grec ou arménien. Ce processus de stigmatisation, se nourrissant de l’héritage de l’ancien régime ottoman – et notamment des massacres qui ont déjà frappé les Arméniens entre 1894 et 1896 –, a préparé les esprits à la perpétration du génocide perçu comme une légitime « punition » infligée aux Grecs, aux Syriaques et aux Arméniens.

 

 

 

 

 

AVANT PROPOS  INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS

 

 

 I. LES PRÉMICES D'UN GÉNOCIDE

 

 

 

 

 1. LE QUOTIDIEN D’UN TERROIR ANCESTRAL

Vilayets orientaux avec legendesAu tournant du 20e siècle, les Arméniens sont principalement concentrés dans les six provinces orientales de l’Empire ottoman, dans les vilayets de Sıvas, Erzurum, Van, Diyarbekir, Bitlis et Kharpert, qui recouvrent le terroir arménien ancestral, ainsi qu’à Constantinople et dans les principales villes d’Anatolie. La majorité d’entre eux est établie en milieu rural et mène une vie traditionnelle, de type patriarcal, caractérisée par une cohabitation complexe avec des populations kurdes semi-nomades ou récemment sédentarisées.

D’autre part, les métropoles de province concentrent une société arménienne instruite et entreprenante qui entre dans la modernité.


C’est ce monde vivant qui va subir des massacres de masse et voir ses biens progressivement spoliés, enclenchant un courant migratoire massif avant d’être définitivement éradiqué en 1915.

 

 

 

 

2. ENTRE VIOLENCE D'ÉTAT ET VIOLENCE TRIBALE : LES MASSACRES DE 1894 - 1896

I.2 1 result1891 marque un tournant dans la politique du sultan Abdülhamid II (1876-1909). Cette année-là, il crée des escadrons d’irréguliers kurdes, les hamidiye : enlèvements, pillages et spoliations engendrent une insécurité permanente dans les provinces arméniennes. Mais les premières violences de masse se produisent au cours de l’été 1894, dans le district arménien du Sassoun. Ces massacres, présentés par les autorités comme la conséquence d’une « révolte » des Arméniens, poussent les grandes puissances européennes à se concerter pour imposer au sultan des réformes dans les six vilayets orientaux. En octobre 1895, pour afficher sa bonne volonté, le sultan signe les décrets de réorganisation de l’administration locale destinés à assurer la sécurité des biens et des personnes. Dans les faits, Abdülhamid II autorise et encourage les massacres à grande échelle qui vont suivre.

S’étendant à tout le pays, ces massacres, qui débutent à Trébizonde le 26 septembre 1895, se prolongent jusqu’en décembre, selon des procédures identiques.

Les estimations effectuées par le Patriarcat arménien de Constantinople font état de 200 000 morts et de nombreux pillages et destructions. Une catastrophe humaine et socio-économique.

 

 

 

3. LES MASSACRES DE CILICIE D'AVRIL 1909 : UNE RÉPÉTITION GÉNÉRALE ?


 

carte vilayets d'Adana et alepÀ partir du 31 mars 1909, moins d’un an après la prise du pouvoir par le Comité Union et Progrès et le rétablissement de la constitution, une « réaction » favorable à la restauration du sultan dans la plénitude de ses pouvoirs vise les chefs unionistes. Elle associe des soldats et officiers des garnisons de Constantinople à des opposants religieux. S’étant rapidement ressaisis, les unionistes vont rapidement tuer dans l’œuf cette tentative de réaction et en profiter pour éliminer du même coup l’opposition libérale à Constantinople. 

 

 

Les fondateurs de la fédération révolutionnaire arménienne ou parti "tashnag"Presque simultanément, une succession de massacres frappe les Arméniens d’Adana et de la Cilicie au cours du mois d’avril 1909. Alors que les chefs du parti jeune-turc en rejettent la responsabilité sur les forces réactionnaires, le déroulement de ces violences d’une intensité inouïe jette de fortes présomptions sur l’implication des cadres unionistes locaux et du pouvoir central. Les massacres d’Adana ébranlent ainsi gravement les espoirs qu’une partie de la société arménienne ottomane avait pu fonder dans le rétablissement de la constitution ottomane en 1908 et même, pour certains (à l’exemple de la fédération révolutionnaire arménienne ou parti tachnag), à l’égard du projet politique initial du Comité Union et Progrès.

 

 

La première phase des massacres de Cilicie : 14-16 avril 1909


Constantinople, 24 avril 1909 : arrivée du général Mahmud Şevket, qui écrase les insurgés (coll. Service historique de l’armée de terre).Constantinople, 24 avril 1909 : arrivée du général Mahmud Şevket, qui écrase les insurgés (coll. Service historique de l’armée de terre).La flambée de violence qui embrase toute la Cilicie dès le 14 avril n’a rien d’un mouvement spontané. Des rumeurs infondées d’assassinats de musulmans par des Arméniens ont circulé, relayées par le clergé et les fonctionnaires locaux, soutenus par les notables et la gendarmerie.
La première journée, le 14 avril, des émeutiers procèdent à la destruction des boutiques arméniennes du bazar et au massacre des travailleurs saisonniers arméniens des fermes de la plaine d’Adana. Mais l’autodéfense organisée, notamment dans les quartiers arméniens d’Adana, permet d’éviter un bain de sang.

 

 

 

 


 

 

 

La deuxième phase des massacres de Cilicie : 25-27 avril 1909


Déblayage des ruines du quartier arménien d’Adana après les massacres, mai 1909 (coll. Saint-Grégoire, Beyrouth).Déblayage des ruines du quartier arménien d’Adana après les massacres, mai 1909 (coll. Saint-Grégoire, Beyrouth).Après les premières violences, les autorités gouvernementales ont envoyé des troupes pour rétablir l’ordre. Sur les instances du consul britannique à Adana, les Arméniens ont accepté de livrer leurs armes et de se placer sous la protection des soldats. Ce sont pourtant ces mêmes troupes qui vont attaquer les quartiers arméniens désormais sans défense et procéder, trois jours durant, au massacre de milliers de leurs habitants, y compris ceux qui avaient trouvé refuge dans les missions étrangères.

 

 

 

 

 

 

 

AVANT PROPOS  INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS

 

 

 III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE

 

 


Hamidiye DiyarbekirEscadron hamidiye de Diyarbekir intégré à la Teşkilât-ı Mahsusa, cérémonie avant le départ en mission(coll. Bibliothèque Nubar). 

 

 

 


1. LES OUTILS DE L'EXTERMINATION


La décision d’exterminer les Arméniens a été prise entre le 20 et le 25 mars 1915, au cours de plusieurs réunions du comité central unioniste convoqué au retour d’Erzerum du docteur Bahaeddin Şakir, président de lOrganisation spéciale (Teşkilât-ı Mahsusa).
 L’exécution du plan d’extermination a été confiée à ce groupe paramilitaire dirigée par un bureau politique comprenant quatre des neufs membres du comité central unioniste : les docteurs Bahaeddin Şakir et Mehmed Nâzım, Atıf bey et Yusuf Rıza bey.

Le quartier général de l’Organisation spéciale (OS) était basé au siège du CUP, à Istanbul. L’Organisation avait son représentant au ministère de la Guerre, Kuşçubaşızâde Eşref [Sencer], qui assurait la formation et l’équipement des forces de l’OS, ainsi que son financement. Ses cadres étaient recrutés parmi les officiers membres du parti et ses exécutants parmi les criminels de droit commun libérés par le ministère de la Justice, ou encore parmi des tribus tcherkesses ou kurdes. Les escadrons opéraient sur des sites fixes en s’en prenant aux convois de déportés arméniens.

 

Le rôle de l’administration et des secrétaires responsables du CUP


 Dans le partage des tâches, la planification des déportations était assurée par le Directorat pour l’installation des tribus et des migrants (Iskân-ı Aşâyirîn ve Muhâcirîn Müdüriyeti ou IAMM), sous la direction de Muftizâde Şükrü Kaya, délégué à Alep fin août 1915 pour y établir une sous-direction des déportés. La police dressait les listes d’hommes à déporter. La gendarmerie assurait l’« encadrement » des convois. Les services du Trésor s’occupaient de récupérer et répartir les « biens abandonnés ». Les coordinateurs de ces opérations étaient les « secrétaires-responsables » délégués par le parti dans les provinces.

 

Le rôle de l’armée dans les violences de masse



La IIIe armée, contrôlant les six vilayets orientaux, a été directement impliquée dans les exactions commises contre les populations civiles entre décembre 1914 et février 1915, sur le front du Caucase, puis dans les vilayets de Van et de Bitlis, en coopération avec des escadrons de l’Organisation spéciale.

 

 

 

 

2. LA PREMIÈRE PHASE DU GÉNOCIDE (AVRIL - OCTOBRE 1915)


L’élimination des conscrits de la IIIe armée ottomane et des hommes adultes


 Convoi d’hommes adultes arméniens emmenés sous escorte depuis le konak ou siège du gouverneur du gouverneur (vali) de Mezre, pour une destination inconnue (coll. Pères mekhitaristes de Venise).Convoi d’hommes adultes arméniens emmenés sous escorte depuis le konak ou siège du gouverneur (vali) de Mezre, pour une destination inconnue (coll. Pères mekhitaristes de Venise).Sur ordre donné par le ministre Enver le 28 février 1915, les dizaines de milliers de conscrits arméniens servant dans la IIIe armée ont été désarmés et versés dans des bataillons de travail (amele taburiler) ou exécutés.

En mai 1915, les autorités internent et exécutent les hommes âgés de 16 à 60 ans ou optent, dans les districts à forte densité arménienne, pour la conscription des 16-19 ans et 41-60 ans, jusqu’alors épargnés.

Ces hommes sont exécutés à l’écart des villes et des villages, dans des lieux isolés.

 
 

L’arrestation des élites arméniennes


Circulaire adressée par le ministère de l’Intérieur, Direction générale de la police nationale, au commandant en chef de l’armée ottomane et à d’autres institutionsLe 24 avril 1915, sur ordre du ministre de l’Intérieur, Talât, les autorités procèdent à l’arrestation des élites arméniennes, à Istanbul comme dans les villes de province.

Ces hommes sont exécutés sur place ou momentanément convoyés et internés à Çangırı (près de Kastamonu) et Ayaş (près d’Ankara), avant d’être assassinés. Dès la fin de la guerre, la date du 24 avril (le 11 avril dans le calendrier julien alors utilisé par les Arméniens ottomans) a été retenue comme jour de commémoration de l’ensemble des massacres qu’elle a précédés. 

 

 

Circulaire adressée par le ministère de l’Intérieur, Direction générale de la police nationale, au commandant en chef de l’armée ottomane et à d’autres institutions, ordonnant notamment « l’arrestation des chefs et des membres des comités [...] bien connus des forces de police », datée du 24 avril 1915 et signée par le ministre de l’Intérieur, Mehmed Talât.

 

 

 Les déportations à Zeytoun et l’autodéfense de Van


Le nid d’aigle de Zeytoun Le nid d’aigle de Zeytoun (Süleymanli) dont la population, réputée combative et rétive au pouvoir central, est la première visée par le pouvoir unioniste et déportée début avril 1915 (coll. Pères mekhitaristes de Venise).

Dès la fin du mois de mars 1915, les premiers signes du projet génocidaire du CUP sont perceptibles : la population arménienne de Zeytoun (aujourd’hui Süleymani) et de Dörtyol est déportée.

Les 18 et 19 avril, environ 15 000 villageois des environs de Van se réfugient en ville, fuyant les massacres opérés par les escadrons de l’Organisation spéciale. Les jours précédents, deux leaders arméniens ont été assassinés sur ordre du vali Cevdet.

Le 20 avril au matin, les Arméniens de Van se retranchent dans leurs deux quartiers : ils vont résister plus d’un mois aux forces turques jusqu’à ce que l’armée russe du Caucase approche de la ville.

Ces événements, présentés à Istanbul comme une révolte arménienne, servent de justification aux déportations qui commencent.

En mai 1915, ayant pris le contrôle du vilayet de Van, l’armée russe dénombre 55 000 cadavres, soit un peu plus de 50 % de la population arménienne de cette province.

 

 

                                                                                            

Résistance et fuite vers le Caucase dans le vilayet de Van


Convoi d’Arméniens fuyant vers le CaucaseConvoi d’Arméniens fuyant vers le Caucase, photographiés à quelques kilomètres de Kızılkilise (coll. Bibliothèque Nubar)Fin juillet 1915, alors que l’armée russe approche de Bitlis en provenance du front du Caucase, l’ordre général d’évacuation arrive de Saint-Pétersbourg. Les Arméniens de Van, du Chadakh et du Khizan prennent la route du Caucase, échappant au sort de leurs congénères.

 

 

 

 

 

 

 La déportation des femmes, des enfants et des vieillards

L’examen des opérations de déportation montre que l’élimination des populations des six vilayets orientaux – le territoire historique des Arméniens – était une priorité du Comité Union et Progrès. La déportation des femmes, des enfants et des vieillards a été précédée par l’élimination sur place des individus de sexe mâle considérés comme valides et potentiellement dangereux. S’agissant de l’exode, les méthodes et les moyens utilisés indiquent que les convois partis des vilayets orientaux, en mai et juin 1915, ont été méthodiquement détruits en cours de route et qu’une faible minorité des déportés seulement est arrivée dans les « lieux de relégation ». En revanche, les Arméniens des colonies d’Anatolie ou de Thrace ont été, de juillet à septembre 1915, expédiés vers la Syrie par familles entières, souvent par train, et sont parvenues au moins jusqu’en Cilicie.

 

 

 

Carte générale animée des massacres et des déportations dans l’Empire ottoman 

 

 

 

 

Les sites-abattoirs de l’Organisation spéciale


Utilisée par l’historien Raymond Kévorkian (Le génocide des Arméniens, 2006) pour désigner les principaux lieux de massacres mis en place par l’Organisation spéciale sur les routes de la déportation, l’expression « site-abattoir » renvoie aux formules employées par certains témoins contemporains du génocide comme le consul des États-Unis à Kharpert [Harpout, actuel Elazığ], Leslie Davis, dans son rapport sur « la province abattoir » (The Slaughterhouse Province). Parmi les nombreux sites-abattoirs, les deux plus importants avaient pour cadre des gorges servant de passages obligés pour les convois : le site de Kemah, au sud-ouest d’Erzincan, sur l’Euphrate supérieur, où des dizaines de milliers d’hommes ont été exterminés en mai et juin 1915 sous la supervision directe du docteur Bahaeddin Şakir, patron de l’Organisation spéciale ; celui de Kahta, dans le massif montagneux situé au sud de Malatia, par lequel cinq cent mille déportés sont passés.

 

 

 

 LES CARTES DE LA DÉPORTATION  cliquez pour visionner

 Carte 02 8 Carte 03 7 Carte 04 5 Carte 05 10 Carte 06 4 Carte 07 3 Carte 08 6 Carte 09 2 Carte 10 1 Carte 11 11 Carte 12 12 Carte 13 13

 

 3. SPOLIATION ET LIQUIDATION DES BIENS ARMÉNIENS

Kara KemalKara Kemal (1866-1928). Le programme baptisé Millî Iktisat (« économie nationale ») a constitué le volet économique du génocide, sa justification, mais aussi une incitation directe pour sa mise en œuvre, du sommet de l’État jusqu’aux exécutants sur le terrain. Il a surtout profité à l’élite unioniste et au parti-État constitué par le Comité Union et Progrès, mais aussi aux militants du CUP en général. Il s’agissait officiellement de constituer une classe d’entrepreneurs « turcs » en leur transférant la possession des entreprises et des propriétés arméniennes. L’action des commissions dites des « biens abandonnés » (emvali metruke) a aussi permis au régime jeune-turc d’accaparer les biens mobiliers et immobiliers des populations déportées, ainsi que les biens dits wakıf, en principe inaliénables, possessions d’institutions religieuses. Parmi les biens wakıf, nombre de monastères et d’églises matérialisant l’ancrage millénaire des Arméniens dans ces régions ont été détruits dès 1915-1916.

Appartenant au premier cercle du CUP, nommé ministre du Ravitaillement dans le cabinet Said Halim, il a été chargé de mettre en œuvre le projet de la Millî Iktisat (« économie nationale ») et de gérer les emvali metruke ou commissions des « biens abandonnés » – autrement dit le pillage légalisé des biens arméniens, notamment au profit du CUP.

 

 

 

 

 

4. LA DEUXIÈME PHASE DU GÉNOCIDE : DANS LES CAMPS DE SYRIE ET DE MÉSOPOTAMIE

(FÉVRIER-DÉCEMBRE 1916)


 Cemal pachaCemal pacha, membre éminent du Comité Union et progrès, ministre de la Marine, commandant en chef de la ivème armée ottomane, en compagnie de chefs de tribus bédouines. La Syrie était sous son contrôle, mais il n’avait aucun pouvoir sur l’administration des camps de concentration (coll. Bibliothèque Nubar).L’ultime étape du processus de destruction vise les déportés originaires d’Asie Mineure et de Cilicie et, dans uneAlepAlep déportés Hans Alepmoindre mesure, des provinces arméniennes de l’Est anatolien. Il a pour cadre la vingtaine de camps de concentration de Syrie et de Haute-Mésopotamie mise en place à partir d’octobre 1915. Gérés par une Sous-direction des déportés attachée au Directorat pour l’installation des tribus et des migrants (Iskân-ı Aşâyirîn ve Muhâcirîn Müdîriyeti ou IAMM) et dépendant du ministère de l’Intérieur, ces camps ont accueilli environ 700 000 déportés. Plus de 100 000 Ciliciens ont par ailleurs été relégués dans des zones rurales et isolées situées le long d’une ligne allant d’Alep à la mer Rouge.

En mars 1916, environ 500 000 internés subsistaient dans les camps de Syrie-Mésopotamie et dans quelques lieux de relégation. Une ultime décision a alors été prise par le comité central jeune-turc pour procéder à leur liquidation. D’avril à décembre 1916, deux sites, Ras ul-Ayn et Deir Zor, ont été le cadre de massacres systématiques qui ont fait plusieurs centaines de milliers de morts, principalement des femmes et des enfants.2 result

 Camps Alep

 

Réseau des camps de concentration de la vallée de l’Euphrate et des sites-abattoirs de la vallée du Khabour 

Tableau des victimes « de mort naturelle » dans les camps de concentration

(liées à la faim, aux épidémies et aux intempéries)

Localisation du camp Période de fonctionnement du camp

Nombre de victimes

Mamura été-automne 1915

c. 40 000

Islahiye août 1915 à janvier 1916

c. 60 000

Karlık et Sebil été 1915 à automne 1916

c. 10 000

Radjo, Katma et Azaz automne 1915 à printemps 1916

c. 60 000

Mounboudj [Manbidj] automne 1915 à février 1916

?

Bab et Akhterim octobre 1915 au printemps 1916

c. 50 000

Arabpunar début octobre à mi-novembre 1915

c. 4 000

Ras ul-Ayn octobre 1915 à fin mars 1916

c. 13 000

Dipsi novembre 1915 à avril 1916

c. 30 000

Lalé et Tefridjé décembre 1915 à février 1916

c. 5 000

Meskéné novembre 1915 à septembre 1916

c. 60 000

Abuharar, Hamam novembre 1915 à avril 1916

?

Deir Zor novembre 1915 à novembre 1916

c. 40 000

 

 

 

 

 

 

 

AVANT PROPOS  INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS

 

 

 II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE

 

 

 1. LA MONTÉE EN PUISSANCE DU COMITÉ UNION ET PROGRÈS


Idéologie et réseaux d'influence du pouvoir jeune-turc

Mehmed Talât, Ismail Enver et Halil Bey, membres éminents du CUP Mehmed Talât, Ismail Enver et Halil Bey, membres éminents du CUP (photographie parue dans Alfred Nossig, Die Neue Türkei und ihre Führer, Halle : O. Hendel, non daté [1916], p. 8).Le palais de Dolmabahçe, centre du pouvoir du Comité Union et Progrès Le palais de Dolmabahçe, centre du pouvoir du Comité Union et Progrès (coll. Michel Paboudjian).De 1908 à 1918, l’Empire ottoman a été dirigé, presque sans discontinuité, par le Comité Union et Progrès, un parti entièrement contrôlé par un comité central de neuf membres, constituant un pouvoir occulte.

En dépit des espoirs qu’ils avaient suscité en accédant au pouvoir, faisant miroiter l’établissement d’une égalité réelle au sein de l’Empire ottoman entre les groupes dominants musulmans et les groupes dominés chrétiens et juifs, les principaux responsables du CUP étaient très largement imprégnés d’une idéologie darwiniste sociale d’inspiration européenne. À leurs yeux, le CUP au pouvoir avait pour mission de régénérer la « race turque », de lui faire retrouver les vertus des ancêtres.

Majoritairement formé d’officiers et de membres issus des marges de l’empire, principalement des Balkans et du Caucase, le CUP a assis son pouvoir en développant un réseau de clubs locaux, et en remplaçant progressivement les cadres de l’armée et de l’administration par des militants du parti. Parallèlement, le CUP a tissé des liens étroits dans les provinces avec les notables locaux, les cadres religieux et les chefs tribaux. Toutes ces ramifications favorables à son influence sur le terrain se sont avérées plus tard de redoutables leviers d’action au moment de la mise en œuvre du génocide.

 

 

 

 

 

 

Guerres balkaniques et crise intérieure


Entre la révolution jeune-turque de 1908 et le coup d’État du 25 janvier 1913, qui instaure un régime de parti unique, laissant les mains libres au Comité Union et Progrès, les crises internes et externes se sont multipliées et ont contribué à la radicalisation de ses dirigeants.

À la suite des guerres des Balkans de 1912 et 1913, qui ont vu la coalition balkanique infliger une humiliante défaite aux forces ottomanes et amputer l’empire de la quasi-totalité de ses derniers territoires européens, les éléments les plus radicaux prennent le pouvoir au sein du CUP.

 

 

 Le docteur Mehmed Nâzım (1870-1926), membre du comité central unionisteLe docteur Mehmed Nâzım (1870-1926), membre du comité central unioniste.

Il fut l’un des chefs de l’Organisation spéciale (Teskilât-ı Mahsusa) au cours du génocide (coll. des Pères mekhitaristes de Venise).

 Mehmed Talât (1874-1921), chef du comité central unioniste, ministre de l’IntérieurMehmed Talât (1874-1921), chef du comité central unioniste, ministre de l’Intérieur. Homme fort du gouvernement et du parti, il fit pencher la balance en faveur des membres les plus radicaux du comité central (coll. Bibliothèque Nubar).

 

 Ismail Enver (1881-1922), membre du comité central unioniste, ministre de la Guerre Ismail Enver (1881-1922), membre du comité central unioniste, ministre de la Guerre (coll. Bibliothèque Nubar).  Ahmed Cemal [Djemal] (1872-1922), membre du comité central unioniste, ministre de la MarineAhmed Cemal [Djemal] (1872-1922), membre du comité central unioniste, ministre de la Marine, commandant en chef de la IVe armée ottomane sur les fronts de Syrie, Mésopotamie et Palestine (coll. Bibliothèque Nubar).

 

 

 2. LE PROJET DE RÉFORME EN ARMÉNIE : UNE DERNIÈRE CHANCE DE COHABITATION

 Spoliation et insécurité permanente


La cathédrale d'EtchmiadzineLa cathédrale d'Etchmiadzine au début du 20e siècle (coll. Bibliothèque Nubar)L’arrivée au pouvoir des jeunes-turcs a été perçue comme un progrès et l’occasion de mettre en œuvre des réformes susceptibles d’améliorer la sécurité des populations arméniennes des provinces orientales.
 Après quatre ans de vains efforts, alors que les provinces orientales se vidaient de leur population, du fait de l’émigration massive engendrée par l’insécurité et la misère, les instances arméniennes ont décidé, en octobre 1912, d’internationaliser la question des réformes. Le catholicossat d’Etchmiadzine, le Patriarcat arménien de Constantinople, les partis politiques et quelques personnalités s’engagent alors dans des négociations.

 

 

 

 

Le plan de réformes

Le baron Hans Von Wangenheim, ambassadeur d’Allemagne à ConstantinopleLe baron Hans Von Wangenheim, ambassadeur d’Allemagne à Constantinople, négociateur du projet de réforme en Arménie (The World’s Work, vol. 36, 1918).Le 25 décembre 1913, Russes et Allemands remirent officiellement un projet de réformes au gouvernement ottoman. Le plan prévoyait l’unification des six vilayets orientaux dits « arméniens » ; la nomination d’un gouverneur chrétien, ottoman ou européen ; la nomination d’un conseil d’administration et d’une assemblée provinciale mixte, musulmane et chrétienne ; la formation d’une gendarmerie mixte ; la dissolution des régiments hamidiye créés sous le règne d’Abdülhamid II et dont l’existence avait été maintenue ; la formation d’une commission chargée d’examiner les confiscations de terres survenues au cours des dernières décennies, etc. Le 21 février 1914, la Sublime Porte finit par accepter cet accord, sans avoir pu faire supprimer la clause relative au contrôle occidental qui serait mis en place pour surveiller l’application effective des réformes dans les provinces arméniennes. Deux inspecteurs généraux, un Norvégien et un Hollandais, furent désignés mais n’eurent pas la possibilité ni le temps de prendre réellement leurs fonctions, en raison du déclenchement de la guerre.

 

 

 

3. L'ENTRÉE EN GUERRE ET LA RADICALISATION DES CHEFS UNIONISTES FACE AUX ARMÉNIENS

 (JANVIER 1914 - MARS 1915)

Soldats ottomans mobilisés à la gare ferroviaire d’IstanbulSoldats ottomans mobilisés à la gare ferroviaire d’Istanbul, 1er août 1914 (photographie de Victor Forbin, archives du Foreign Office, Kew).Comme pour d’autres génocides au 20e siècle, la guerre a constitué une condition essentielle à la mise en œuvre d’une politique systématique d’extermination des Arméniens. L’Empire ottoman n’entre en guerre aux côtés des Puissances centrales qu’en octobre 1914, mais la mobilisation générale est décrétée dès le mois d’août. Elle concerne également les Arméniens âgés de 20 à 40 ans, autrement dit les « forces vives » du millet arménien, ainsi neutralisées. C’est dans ce contexte favorable, alors que les grandes puissances étaient elles-mêmes plongées dans la guerre, que les dirigeants unionistes ont accéléré la réalisation de leur projet d’homogénéisation ethnique de l’Asie Mineure en décidant de détruire les communautés arméniennes et syriaques de l’empire.

 

Parade à l’occasion de l’entrée en guerre de l’Empire ottomanParade à l’occasion de l’entrée en guerre de l’Empire ottoman, Constantinople, novembre 1914 (coll. Bibliothèque Nubar).L’échec cinglant essuyé par l’armée ottomane à Sarıkamış, à la fin du mois de décembre 1914, a convaincu le comité central du CUP – Mehmed Talât, Midhat Şükrü, le docteur Nâzım, Kara Kemal, Yusuf Rıza, Ziya Gökalp, Eyub Sabri [Akgöl], le docteur Rüsûhi, le docteur Bahaeddin Şakir et Halil [Menteşe] – de compenser ces revers par une politique intérieure radicale à l’égard des Arméniens

 

 

 

 

LES PREMIÈRES VIOLENCES DE MASSE SUR LE FRONT DU CAUCASE (DÉCEMBRE 1914 - FÉVRIER 1915)

La carte des premières violences de masse sur le front du caucase (décembre 1914 - février 1915)L’offensive ottomane sur le front caucasien est accompagnée, sous couvert d’opérations militaires, de massacres localisés, en particulier dans la région d’Artvin et tout au long de la frontière avec la Perse, où la population arménienne d’une vingtaine de villages est massacrée, de même qu’en Azerbaïdjan perse, où des contingents de l’armée ottomane, soutenus par des chefs tribaux kurdes, exterminent les villageois arméniens des plaines de Khoy, Salmast et Ourmia.

 

 

 

 

 

 

 

AVANT PROPOS  INTRODUCTION I. LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE   II. LES LOGIQUES DE LA VIOLENCE III. LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE IV. L’HEURE DES BILANS V. LES MASSACRES D’ARMÉNIE VUS DE PARIS


 

 

  IV. L'HEURE DES BILANS AU LENDEMAIN DE LA GRANDE GUERRE

 

 

 

 1. LES RESCAPÉS DU GÉNOCIDE À L'ÉPREUVE DE LA PAIX

Les rescapés recensés à la fin de la guerre peuvent être classés en deux catégories principales :

 

> plusieurs milliers d’enfants et de jeunes filles enlevés par des tribus bédouines, qui ont été récupérés après l’armistice d’octobre 1918 ;

 

> plus de cent mille déportés, surtout originaires de Cilicie, que les forces britanniques découvrent, dans un état indescriptible lors de leur lente conquête de la Palestine et de la Syrie, à partir de la fin de l’année 1917 et en 1918.

 

On recense par ailleurs plusieurs dizaines de milliers de rescapés au Caucase et en Perse.

 

 

Nombre d’Arméniens rapatriés dans leurs foyers (c. février 1919)
d’après les chiffres du bureau d’information du Patriarcat arménien de Constantinople
Localités Rapatriés
Constantinople 470
Edirne 2 355
Erzerum 3 193
Adana 45 075
Angora 1 735
Aydın 132
Bitlis 762
Bursa 13 855
Diyarbekir 195
Sıvas 2 897
Trébizonde 2 103
Kastamonu 0
Konya 10 012
Mamuret ul-Aziz 1 992
Van 732
Eskişehir 216
Erzincan 7
Urfa 394
Içil 0
Izmit 13 672
Bolu 0
Teke 0
Canik 801
Çatalca 0
Ayntab 430
Karahisar 298
Dardanelles 222
Karasi 899
Kayseri 47
Kütahya 721
Menteşe 0
Niğde 0
Total 103 215

 

 

Les rescapés du génocide, entre espoir et désillusion

  carte C6 exode Des survivants du génocide se trouvent dispersés dans les localités arabes, abandonnés à leur sort, chaque famille ayant perdu les trois-quarts de ses membres. Il s’agit en majorité de femmes et d’enfants qui aspirent tous à rentrer dans leurs foyers. Dès janvier 1919, une vaste opération de rapatriement vers la Cilicie commence, sous les auspices de la France, qui est alors en train de prendre le contrôle militaire et administratif de cette région. Cependant, en octobre 1921, la France signe avec la Turquie kémaliste un accord de cession de la Cilicie qui engendre un nouvel exode de la population arménienne vers la Syrie et le Liban.

 

 carte  cilicie carte c3 le levant

 

 

 

 Chronologie de la situation d’après-guerre

Exode des Arméniens à la gare d’Adana Exode des Arméniens à la gare d’Adana en novembre 1921                                                    (Paul du Véou, La Passion de la Cilicie : 1919-1922, Paris : Geuthner, 1954).• 1917 : Prises de Bagdad (mars) et de Jérusalem (décembre) par les forces britanniques. Découverte de nombreux enfants arméniens abandonnés. Début du recueil des orphelins et fondation des premiers orphelinats.

• 31 octobre 1918 : signature de l’armistice de Moudros. La Syrie et la Cilicie sont occupées par les forces alliées. Les gouvernements et les opinions publiques d’Europe peuvent mesurer l’ampleur de la destruction des Arméniens ottomans.

• Janvier 1919 : création du Service central des rapatriements arméniens et début du transfert des déportés regroupés dans les camps d’Alep, Beyrouth et Damas vers la Cilicie. La France prend en charge les frais de l’opération.

• 1er février 1919 : Installation d’une administration française en Cilicie, siégeant à Adana.

• Février 1919 : ouverture à Alep du premier refuge destiné aux femmes arméniennes rescapées et abandonnées.

• 20 octobre 1921 : conclusion de l’accord franco-turc d’Ankara, cédant la Cilicie à la Turquie. Début de l’exode massif des Arméniens de Cilicie vers la Syrie et le Liban.

• Décembre 1921-janvier 1922 : installation de camps de réfugiés à Beyrouth, Alexandrette, Alep et Damas.

• Mars-septembre 1922 : évacuation vers la Syrie et le Liban de 10 017 orphelins arméniens se trouvant sous la protection du Near East Relief dans les provinces orientales de Turquie. Un réseau d’orphelinats administrés par des organisations arméniennes et occidentales est établi en Syrie et au Liban.

• 23 juillet 1923 : signature du traité de Lausanne, qui met fin aux espoirs arméniens d’un possible regroupement des rescapés dans un foyer national.

 

 2. RECUEILLIR ET RÉHABILITER : UNE PRIORITÉ


Dès l’entrée des troupes britanniques en territoire ottoman, les Arméniens s’efforcent de regrouper les femmes et les enfants abandonnés et de les établir dans des maisons d’accueil. Ce sont les premières initiatives d’envergure menées dans les provinces arabes de l’Empire ottoman en faveur du regroupement d’enfants rescapés du génocide et de leur accueil dans des orphelinats. Dès lors, ces opérations humanitaires destinées à prendre en charge les orphelins, les femmes et les enfants enlevés au sein de familles turques, kurdes ou bédouines, s’inscrivent parmi les actions prioritaires des organisations et des institutions arméniennes et occidentales engagées dans le secours et l’assistance aux rescapés du génocide.

 

 

 

La présence des Arméniens ottomans à la veille de la signature du traité de Sèvres
d’après les chiffres du bureau d’information du Patriarcat arménien de Constantinople
Localité, province (vilayet) ou district (sandjak) Nombre d’Arméniens comptabilisés
Constantinople 150 000
Vilayet d’Edirne 6 000
Mutesarifat d’Izmit 20 000
Vilayet de Bursa 11 000
Sandjak de Bilecik 4 500
Sandjak de Karasi 5 000
Sandjak d’Afyonkarahisar 7 000
Vilayet d’Aydın 10 000
Vilayet de Kastamonu et Bolu 8 000
Sandjak de Kirşehir 2 500
Sandjak de Yozgat 3 000
Sandjak d’Angora 4 000
Vilayet de Konya 10 000
Sandjak de Sıvas 12 000
Sandjak de Tokat 1 800
Sandjak d’Amasia 3 000
Sandjak de şabinkarahisar 1 000
Sandjak de Trébizonde 0
Sandjak de Lazistan 10 000
Sandjak de Gümüşhane 0
Sandjak de Canik 5 000
Vilayet d’Erzerum 1 500
Van (la ville uniquement) 500
Vilayet de Bitlis 0
Vilayet de Dyarbekir 3 000
Sandjak de Harpout [Kharpert] 30 000
Sandjak de Malatia 2 000
Sandjak de Dersim 3 000
Vilayet d’Adana 150 000
Sandjak d’Alep 5 000
Sandjak d’Ayntab 52 000
Sandjak d’Urfa 9 000
Sandjak de Marache 10 000
Jérusalem 2 000
Damas 400
Beyrouth 1 000
Hauran 400
Total 543 600

 

 

 

 3. PUNIR LES BOURREAUX : UNE TÂCHE INACHEVÉE

Soghomon TehlirianSoghomon Tehlirian (1897-1960) peu après son acquittement du meurtre de l’ancien ministre de l’Intérieur ottoman et chef du parti jeune-turc, Mehmed Talât, le 15 mars 1921 (coll. Bibliothèque Nubar).IV.4.1IV.4.3IV.4.4IV.4.5IV.4.6Au lendemain de l’Armistice de Moudros (31 octobre 1918), alors que les principaux chefs unionistes se sont enfuis en Allemagne, une commission d’enquête est instaurée au sein du Bureau de la Sûreté générale, par décret impérial du 21 novembre 1918, puis des cours martiales chargées de juger les criminels jeunes-turcs.

Le procès principal, visant les responsables directs du génocide, les membres du conseil des ministres et du comité central du Comité Union et Progrès, débute le 27 avril 1919 devant la cour martiale extraordinaire d’Istanbul. Cette procédure aurait dû réunir les vingt-trois titulaires du comité central du CUP et de son bureau politique, mais douze d’entre eux – notamment Mehmed Talât, İsmail Enver, Ahmed Cemal, les docteurs Bahaeddin Şakir et Nâzım – sont en fuite à l’étranger. Lorsque le « procès des unionistes » s’ouvre, seuls des responsables de second rang sont présents : Halil [Menteşe], Midhat Şükrü, Ziya Gökalp, Kara Kemal, Yusuf Rıza, Said Halim (l’ancien grand vizir), etc.

En définitive, les dizaines de procès qui ont lieu aboutissent à la condamnation à mort et à la pendaison de seulement trois exécutants, les principaux responsables étant condamnés à mort par contumace. Les dispositions prises par les gouvernements britannique et français pour faire traduire ces criminels devant un « haut tribunal » international s’avèrent infructueuses. Des militants arméniens se chargent alors d’appliquer les sentences et de se substituer à une justice défaillante : dans le cadre de l’opération secrète Némésis, ils traquent et assassinent les anciens dirigeants unionistes en fuite à l’étranger.

Le cas le plus emblématique concerne Mehmed Talât, le grand ordonnateur des violences de masse, assassiné à Berlin par Soghomon Tehlirian le 15 mars 1921.

 

 

 

4. L'EXPÉRIENCE  D'AURORA  MARDIGANIAN ET SA MÉDIATISATION

 le film Ravished Armenia, inspiré de son histoire, produit à Hollywood en 1919


Aurora MardiganianAffiche du film "Ravished Armenia". (DR)Née en 1901 à Tchemichguezek (Çemişgezek), dans le nord du vilayet de Kharpert/Mamuret ul-Aziz, Aurora Mardiganian a connu le sort commun aux populations arméniennes déportées. Elle était dans un des convois qui est passé par le plus grand camp de transit et site-abattoir, situé à une dizaine de kilomètres au sud de Malatya, dans la plaine de Fırıncılar, porte d’entrée des gorges de Kahta où des escadrons de l’Organisation spéciale ont commis, au cours de l’été 1915, des crimes indescriptibles.

La suite de sa douloureuse odyssée a été mise en scène dans un film tourné à Hollywood en 1919. Au lendemain de la Grande Guerre, les Arméniens établis en Californie ont choisi Aurora comme héroïne du film qui raconte sa propre histoire et qui était destiné à alerter le grand public sur les crimes commis contre les Arméniens dans l’Empire ottoman. Aurora Mardiganian a également publié son histoire, traduite dans plusieurs langues, qui a servi de base de travail au scénariste de ce film. Installée en Californie, où elle a fondé une famille, elle s’est éteinte en 1994.

 

À défaut de pouvoir présenter une version originale du film non modifiée et libre de droits, nous vous renvoyons simplement à l'aide du lien suivant vers l'une des versions disponibles sur le Net.

 

https://www.youtube.com/watch?v=uTnCaW-Uo_s